Access to Information Orders

Informations sur la décision

Contenu de la décision

ORDONNANCE MO-2984

Appel MA12-356

Ville d’Ottawa

Le 28 novembre 2013

Résumé : L’appelante a demandé à la ville d’Ottawa (la ville ), en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée , l’accès à tous les renseignements relatifs au fait que son nom figure dans la demande d’aide sociale d’un autre particulier nommé. La ville a refusé de confirmer ou de nier l’existence de tels documents en vertu du paragraphe 14 (5)  en affirmant que la divulgation de renseignements de ce type, s’ils existent, serait visée par la présomption de l’alinéa 14 (3)  c) (admissibilité aux prestations d’aide sociale), ce qui donnerait lieu à une présumée atteinte injustifiée à la vie privée de l’auteure de la demande. L’appelante a interjeté appel de la décision en affirmant que les facteurs énoncés aux alinéas 14 (2)  a) (surveillance de la part du public), d) (juste détermination des droits), e) (fait d’être lésé dans ses intérêts pécuniaires) et i) (atteinte à la réputation) favorisaient la divulgation de tout renseignement pertinent. L’arbitre considère que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements personnels sur l’appelante et sur la personne nommée, et que la divulgation de ces renseignements, ou même la confirmation de leur existence, causerait une atteinte injustifiée à la vie privée de la personne nommée en vertu de l’alinéa 14 (3) c). Par conséquent, l’arbitre confirme, à l’instar de la ville, que le paragraphe 14 (5) s’applique, et confirme également l’exercice que la ville a fait de son pouvoir discrétionnaire afin d’appliquer cette disposition.

Dispositions législatives pertinentes : Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée , L.R.O. 1990, chap. M.56 , telle que modifiée : paragraphe 2 (1) (définition de renseignements personnels ); alinéas 14 (2) a), d), e) et i); alinéa 14 (3) c); paragraphe 14 (5); alinéa 38 b).

Ordonnances et rapports d’enquête pertinents : Ordonnances M-615 et MO-2891.

APERÇU

[1] La ville d’Ottawa (la ville ) a reçu une demande d’accès aux renseignements suivants en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée (la Loi ) :

" Je veux avoir accès aux informations me concernant figurant dans la demande d’aide sociale de [personne nommée]. Je risque d’être injustement lésée dans mes intérêts pécuniaires ou autres. L’exactitude et la fiabilité des renseignements fournis sont douteuses. Je l’ai parrainée alors j’en suis responsable. "

[2] La ville a refusé de confirmer ou de nier l’existence des documents visés par la demande en vertu du paragraphe 14 (5) de la Loi .

[3] L’auteure de la demande (désormais l’appelante) a interjeté appel de la décision de la ville devant le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario (CIPVP ).

[4] La médiation n’ayant pas permis de régler le différend, l’appel est passé au stade de l’arbitrage, dans le cadre duquel un arbitre mène une enquête. J’ai commencé mon enquête en demandant des observations à la ville. Celle-ci m’a fait parvenir des observations réitérant son point de vue selon lequel le paragraphe 14 (5) de la Loi  s’applique dans cet appel, de sorte qu’elle a agi de façon appropriée en refusant de confirmer ou de nier l’existence de documents visés par la demande.

[5] Les observations de la ville n’ont pu être divulguées à l’appelante car elles répondaient aux critères de confidentialité énoncés dans la Directive de pratique n° 7. La divulgation des observations de la ville révélerait l’existence ou l’inexistence de documents pertinents.

[6] J’ai ensuite demandé à l’appelante de fournir des observations, ce qu’elle a fait.

[7] Dans la présente ordonnance, je confirme la décision de la ville de refuser de confirmer ou de nier l’existence de documents visés par la demande de l’appelante en vertu du paragraphe 14 (5) de la Loi .

DOCUMENTS

[8] Les documents en cause dans cet appel, s’ils existent, sont des documents qui contiennent des renseignements concernant l’appelante dans le contexte d’une demande d’aide sociale qu’une autre personne a peut-être faite.

QUESTIONS

  1. A. Les documents, s’ils existent, contiennent-ils des renseignements personnels au sens du paragraphe 2 (1) de la Loi et, dans l’affirmative, qui concernent-ils?
  2. B. Les documents, s’ils existent, sont-ils visés par l’exception discrétionnaire prévue à l’alinéa 38 b) interprétée dans le contexte du paragraphe 14 (5) de la Loi ?
  3. C. Si des documents existent, la ville a-t-elle exercé de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire de refuser de confirmer ou de nier leur existence en vertu du paragraphe 14 (5) ou de l’alinéa 38 b) de la Loi ? Dans l’affirmative, le CIPVP devrait-il confirmer l’exercice de ce pouvoir?

ANALYSE

A. Les documents, s’ils existent, contiennent-ils des renseignements personnels au sens du paragraphe 2 (1) de la Loi et, dans l’affirmative, qui concernent-ils?

[9] Pour déterminer si le paragraphe 14 (5) de la Loi  s’applique, il faut établir si le document contient des renseignements personnels et, le cas échéant, à qui ces renseignements ont trait. Cette expression est définie au paragraphe 2 (1) de la Loi  :

renseignements personnels Renseignements consignés ayant trait à un particulier qui peut être identifié. S’entend notamment :

a) des renseignements concernant la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou familial de celui-ci;

b) des renseignements concernant l’éducation, les antécédents médicaux, psychiatriques, psychologiques, criminels ou professionnels de ce particulier ou des renseignements reliés à sa participation à une opération financière;

c) d’un numéro d’identification, d’un symbole ou d’un autre signe individuel qui lui est attribué;

d) de l’adresse, du numéro de téléphone, des empreintes digitales ou du groupe sanguin de ce particulier;

e) de ses opinions ou de ses points de vue personnels, sauf s’ils se rapportent à un autre particulier;

f) de la correspondance ayant explicitement ou implicitement un caractère personnel et confidentiel, adressée par le particulier à une institution, de même que des réponses à cette correspondance originale susceptibles d’en révéler le contenu;

g) des opinions et des points de vue d’une autre personne au sujet de ce particulier;

h) du nom du particulier, s’il figure parmi d’autres renseignements personnels qui le concernent, ou si sa divulgation risque de révéler d’autres renseignements personnels au sujet du particulier.

[10] La liste d’exemples donnée au paragraphe 2 (1) n’est pas exhaustive. Par conséquent, des renseignements qui n’entrent pas dans les catégories mentionnées aux alinéas a) à h) peuvent tout de même être considérés comme des renseignements personnels1.

[11] Pour être considérés comme des renseignements personnels, les renseignements doivent avoir trait aux aspects personnels de la vie d’un particulier. En général, les renseignements qui concernent les aspects professionnels, officiels ou commerciaux de la vie d’un particulier ne sont pas considérés comme ayant trait à un particulier 2.

[12] Cependant, si les renseignements concernent les aspects professionnels, officiels ou commerciaux d’un particulier, ils peuvent tout de même être considérés comme des renseignements personnels s’ils dévoilent une ou des choses de nature personnelle concernant ce particulier3.

[13] Pour que des renseignements soient considérés comme des renseignements personnels, il faut qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que le particulier puisse être identifié si les renseignements sont divulgués4.

Observations

[14] La ville soutient que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements personnels concernant la personne identifiée dans la demande de l’appelante.

[15] L’appelante affirme qu’elle demande des renseignements qui contiennent des renseignements personnels la concernant, et qu’elle a le droit de connaître les accusations portées contre elle ainsi que ce que l’auteure de la demande a dit à la ville.

Analyse et conclusion

[16] Compte tenu des observations des parties et de la nature des renseignements que les documents pertinents révéleraient s’ils existaient, je considère que ces documents contiendraient des renseignements personnels concernant des particuliers pouvant être identifiés, au sens du paragraphe 2 (1) de la Loi .

[17] L’appelante demande l’accès à des documents qui contiennent des renseignements la concernant et qui font partie d’une demande éventuelle d’aide sociale qu’aurait faite une personne identifiée. De tels documents devraient nécessairement contenir des renseignements personnels concernant l’appelante et la personne nommée dans la demande.

[18] Pour ce qui est de l’appelante, compte tenu de ses observations selon lesquelles elle craint que des renseignements inexacts n’aient été fournis ou que des accusations non fondées n’aient été faites à son sujet, les documents pertinents contiendraient son nom ainsi que les opinions ou points de vue de la personne nommée dans la demande au sujet de l’appelante, au sens de l’alinéa g) de la définition de renseignements personnels figurant au paragraphe 2 (1).

[19] Pour ce qui est la personne nommée dans la demande qui a peut-être fait une demande d’aide sociale, les documents pertinents, s’ils existaient, révéleraient son nom ainsi que d’autres renseignements personnels à son sujet au sens de l’alinéa h) de la définition de ce terme figurant au paragraphe 2 (1) de la Loi . En règle générale, les demandes de ce genre contiennent également une bonne partie des renseignements personnels énumérés dans la définition du paragraphe 2 (1), et peut-être des renseignements sur la race, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’état matrimonial ou familial de l’auteur de la demande [alinéa a)], des renseignements sur l’éducation, les antécédents médicaux, psychiatriques, psychologiques, criminels ou professionnels de cette personne ou des renseignements reliés à sa participation à une opération financière [alinéa b)], un numéro d’identification, un symbole ou un autre signe individuel qui lui est attribué [alinéa c)] ainsi que l’adresse et le numéro de téléphone de cette personne [alinéa d)].

[20] Par conséquent, je considère que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements personnels concernant à la fois l’appelante et la personne nommée dans sa demande.

B. Les documents, s’ils existent, sont-ils visés par l’exception discrétionnaire prévue à l’alinéa 38 b) interprétée dans le contexte du paragraphe 14 (5) de la Loi?

[21] En vertu de la Loi , différentes exceptions peuvent s’appliquer selon qu’un document contient ou non des renseignements personnels concernant l’auteur de la demande. Si c’est le cas, l’accès à ces documents est régi par la partie II de la Loi, et les exceptions discrétionnaires de l’article 38 peuvent s’appliquer. Si les documents en cause contiennent des renseignements personnels concernant des particuliers autres que l’auteur de la demande mais non ce dernier, l’accès aux documents est régi par la partie I de la Loi et les exceptions énoncées au paragraphe 14 (1) peuvent s’appliquer.

[22] Le paragraphe 36 (1) de la Loi  confère aux particuliers le droit d’accéder aux renseignements personnels les concernant dont une institution a la garde. L’article 38 prévoit un certain nombre d’exceptions à ce droit.

[23] En vertu de l’alinéa 38 b), si un document contient des renseignements personnels sur l’auteur de la demande et sur un autre particulier, et si la divulgation de ces renseignements représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée de cet autre particulier, l’institution peut refuser de divulguer ces renseignements à l’auteur de la demande.

[24] Cependant, même si les renseignements sont visés par l’alinéa 38 b), l’institution peut exercer son pouvoir discrétionnaire et divulguer les renseignements à l’auteur de la demande. Elle doit tenir compte à la fois du droit de l’auteur de la demande d’avoir accès aux renseignements personnels qui le concernent, ainsi que du droit à la protection de la vie privée dont jouit l’autre particulier.

[25] L’article 38 ne contient aucune disposition parallèle au paragraphe 14 (5). Étant donné que je considère que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements personnels sur l’appelante ainsi que sur une personne identifiée, la question est de savoir si la ville peut invoquer le paragraphe 14 (5) en l’espèce. Des ordonnances antérieures ont établi que c’est le cas. Ainsi, dans l’ordonnance M-615, l’ancien arbitre principal John Higgins a déclaré :

[Traduction]

Le paragraphe 37 (2) prévoit que certaines dispositions de la partie I de la Loi  [dont fait partie le paragraphe 14 (5)] s’appliquent aux demandes visées par la partie II (qui concerne les demandes telles que celle qui nous intéresse, et portent sur documents contenant des renseignements personnels concernant l’auteur de la demande). Le paragraphe 14 (5) ne fait pas partie des dispositions énumérées au paragraphe 37 (2). Cela pourrait porter à conclure que le paragraphe 14 (5) ne peut s’appliquer aux demandes de documents contenant des renseignements personnels concernant l’auteur de la demande.

Cependant, à mon avis, une telle interprétation irait à l’encontre de l’intention du législateur qui sous-tend le paragraphe 14 (5). Comme l’alinéa 38 b), le paragraphe 14 (5) a pour but de donner aux institutions la possibilité de protéger la vie privée de personnes autres que l’auteur de la demande. Or, la protection de la vie privée est l’un des principaux objets de la Loi .

Par conséquent, afin de réaliser l’objectif législatif de protéger la vie privée, je considère que le paragraphe 14 (5) peut être invoqué pour refuser de confirmer ou de nier l’existence d’un document si les conditions sont respectées, même si ce document contient des renseignements concernant l’auteur de la demande.

[26] À ce raisonnement de l’arbitre principal Higgins s’est ajouté récemment celui de l’arbitre Laurel Cropley dans l’ordonnance MO-2891. Dans cette ordonnance, l’arbitre Cropley a tenu compte de l’alinéa 38 b) en confirmant la décision de la Commission des services policiers de London de refuser de confirmer ou de nier l’existence de documents qui étaient visés par la présomption fondée sur une enquête concernant une contravention possible à la loi de l’alinéa 14 (3) b) et qui contenaient des renseignements concernant l’auteur de la demande et une autre personne pouvant être identifiée.

[27] Je suis d’accord avec l’analyse et les conclusions de l’arbitre principal Higgins et de l’arbitre Cropley. Je déterminerai donc si le paragraphe 14 (5) peut être invoqué en l’espèce.

[28] Le paragraphe 14 (5) est libellé comme suit :

La personne responsable peut refuser de confirmer ou de nier l’existence d’un document dont la divulgation constituerait une atteinte injustifiée à la vie privée.

[29] Cette disposition donne à l’institution le pouvoir de refuser de confirmer ou de nier l’existence d’un document dans certaines circonstances.

[30] L’auteur de demande qui s’est vu refuser l’accès en vertu du paragraphe 14 (5) se trouve dans une situation très différente des personnes à qui on signifie un refus en vertu d’autres dispositions de la Loi . En invoquant le paragraphe 14 (5), l’institution refuse à l’auteur de la demande le droit de savoir si un document existe, même si, en l’occurrence, il n’existe pas. Cette disposition confère aux institutions un pouvoir discrétionnaire important qui ne devrait être exercé que dans des cas exceptionnels5.

[31] Avant que l’institution ne puisse exercer son pouvoir discrétionnaire d’invoquer ce paragraphe, elle doit démontrer que :

  1. 1. la divulgation du document (s’il existe) représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée;
  2. 2. la divulgation de l’existence ou de l’inexistence du document communiquerait un renseignement à l’auteur de la demande, et que ce renseignement est d’une nature telle que sa divulgation représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée.

[32] La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé cette démarche d’interprétation du paragraphe 21 (5) de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, qui est identique au paragraphe 14 (5) de la Loi  :

[Traduction]

D’après l’interprétation que fait la commissaire du paragraphe 21 (5), le ministre, pour exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de confirmer ou de nier l’existence du rapport, doit démontrer que la divulgation de cette existence représenterait en soi une atteinte injustifiée à la vie privée6.

Première partie : divulgation du document (s’il existe)

Définition de renseignements personnels

[33] Selon la première partie du critère d’application du paragraphe 14 (5), l’institution doit démontrer que la divulgation du document (s’il existe) représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée. Or, une atteinte injustifiée à la vie privée peut se produire uniquement à la suite de la divulgation de renseignements personnels.

[34] Je considère donc que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements personnels concernant la personne nommée dans la demande et l’appelante.

Atteinte injustifiée à la vie privée

[35] Les facteurs et les présomptions prévus aux paragraphes 14 (1) à (4) permettent de déterminer si la divulgation des documents (s’ils existent) constituerait ou non une atteinte injustifiée à la vie privée en vertu du paragraphe 14 (5).

[36] Ayant examiné les observations de la ville et de l’appelante, je suis convaincue que les paragraphes 14 (1) et (4) ne s’appliquent à aucun des documents pertinents, s’ils existent. Par conséquent, pour déterminer si la divulgation des renseignements contenus dans les documents pertinents (s’ils existent) représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée en vertu de l’alinéa 38 b), je dois tenir compte des facteurs et présomptions énoncés aux paragraphes 14 (2) et (3) et mettre en équilibre les intérêts des parties7.

Présomptions du paragraphe 14 (3) défavorables à la divulgation

[37] Si l’un des alinéas 14 (3) a) à h) s’applique, la divulgation des renseignements est présumée être une atteinte injustifiée à la vie privée en vertu de l’alinéa 38 b).

[38] La ville est d’avis que les renseignements personnels contenus dans des documents visés par la demande seraient, par définition, visés par la présomption énoncée à l’alinéa 14 (3) c), qui est libellé comme suit :

Est présumée constituer une atteinte injustifiée à la vie privée, la divulgation de renseignements personnels :

relatifs à l’admissibilité aux prestations d’aide sociale ou de service social ou à l’établissement du niveau des prestations;

[39] La ville fait valoir que les documents pertinents, s’ils existaient, contiendraient des renseignements qui confirmeraient que la personne nommée dans la demande a présenté une demande d’aide sociale et préciseraient si cette demande a été acceptée ou non. La ville soutient que ces renseignements sont visés directement par la présomption de l’alinéa 14 (3) c) de la Loi et que leur divulgation représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée de la personne que l’appelante a nommée dans sa demande.

[40] L’appelante n’aborde pas la question de savoir si la divulgation des documents, s’ils existent, donnerait lieu ou non à la présomption d’atteinte injustifiée à la vie privée envisagée à l’alinéa 14 (3) c).

[41] Compte tenu du libellé de la demande et des observations de la ville, je considère que les documents visés par la demande, s’ils existaient, seraient directement visés par la présomption énoncée à l’alinéa 14 (3) c). D’après le libellé de la demande, l’appelante veut clairement obtenir des renseignements sur elle-même qui pourraient figurer dans des documents éventuels concernant l’admissibilité d’une autre personne nommée à des prestations d’aide sociale. Je conclus donc que les documents recherchés, s’ils existaient, contiendraient des renseignements dont la divulgation serait présumée constituer une atteinte injustifiée à la vie privée en vertu de l’alinéa 14 (3) c).

Facteurs du paragraphe 14 (2) qui sont favorables et défavorables à la divulgation

[42] Le paragraphe 14 (2) énumère différents facteurs qui peuvent permettre de déterminer si la divulgation de renseignements personnels constituerait une atteinte injustifiée à la vie privée8. La liste des facteurs énoncés au paragraphe 14 (2) n’est pas exhaustive. L’institution doit également tenir compte d’autres facteurs pertinents dans les circonstances entourant le dossier, même s’ils ne sont pas énumérés au paragraphe 14 (2)9.

[43] Dans ses observations, la ville ne soulève pas l’application possible de l’un ou l’autre des facteurs énumérés au paragraphe 14 (2) de la Loi . Les observations de l’appelante laissent toutefois croire que celle-ci considère qu’un certain nombre de facteurs sont favorables à la divulgation des renseignements pertinents (s’ils existent). Plus précisément, elle semble affirmer que les facteurs énoncés aux alinéas 14 (2) a), d), e) et i) sont pertinents en l’espèce. Ces dispositions sont libellées comme suit :

Aux fins de déterminer si la divulgation de renseignements personnels constitue une atteinte injustifiée à la vie privée, la personne responsable tient compte des circonstances pertinentes et examine notamment si :

a) la divulgation est souhaitable parce qu’elle permet au public de surveiller de près les activités de l’institution;

d) les renseignements personnels ont une incidence sur la juste détermination des droits qui concernent l’auteur de la demande;

e) le particulier visé par les renseignements personnels risque d’être injustement lésé dans ses intérêts pécuniaires ou autres;

i) la divulgation est susceptible de porter injustement atteinte à la réputation d’une personne dont il est fait mention dans le document.

[44] L’appelante affirme qu’il existe des documents pertinents et que ces documents contiennent des renseignements personnels qui la concernent. Elle fait valoir que refuser de les divulguer représenterait une atteinte injustifiée à sa vie privée. Plus précisément, elle affirme ce qui suit :

  • • " [L]a non-divulgation du document représenterait une atteinte injustifiée à ma vie privée et encouragerait la fraude puisque [personne nommée] a raconté des mensonges pour obtenir l’aide sociale.
  • • La divulgation est souhaitable car elle permet au public de surveiller de près les activités de l’institution.
  • • Les renseignements personnels ont une incidence sur la juste détermination de mes droits. J’ai le droit de me défendre des fausses accusations dont je suis victime….
  • • Je risque d’être injustement lésée dans mes intérêts pécuniaires ou autres car … je vais devoir rembourser l’aide sociale qu’elle touche suite aux mensonges qu’elle a racontés….
  • • Je veux obtenir les informations qu’elle a dites à mon sujet pour m’en défendre en cour comme tout citoyen a le droit d’être justement traité. Ces mensonges ont déjà affecté ma réputation au travail….[J]e dois me défendre de ces accusations qui risquent d’affecter encore plus ma réputation au travail et de m’entraîner de lourdes conséquences financières. "
14 (2) a) : surveillance de la part du public

[45] L’alinéa 14 (2) a) de la Loi a pour raison d’être de permettre une surveillance suffisante du gouvernement et de ses organismes de la part du public.

[46] Compte tenu des types de renseignements qui pourraient figurer dans des documents qui seraient visés par la demande, s’ils existaient, je considère que la divulgation du sujet des renseignements personnels dans de tels documents ne donnerait pas lieu à une surveillance accrue de la ville ou de ses programmes d’aide sociale. D’après ses observations, l’appelante semble demander la divulgation de renseignements pertinents à des fins purement personnelles, et non pour le public en général.

[47] En l’espèce, je considère que je n’ai pas reçu d’indications suffisantes pour démontrer que la divulgation de documents pertinents, s’ils existent, serait souhaitable afin que le public puisse surveiller les activités de la ville. Je considère donc que le facteur énoncé à l’alinéa 14 (2) a) n’est pas pertinent dans le présent appel.

Alinéa 14 (2) d) : juste détermination des droits

[48] Pour que l’alinéa 14 (2) d) s’applique, l’institution doit démontrer que :

  1. 1) le droit en question est un droit reconnu par la loi ou la jurisprudence, et non un droit non reconnu par la loi qui est fondé uniquement sur des motifs moraux ou éthiques;
  2. 2) le droit est lié à une instance qui est en cours ou qui est envisagée, et non à une instance qui a été réglée;
  3. 3) les renseignements personnels auxquels l’appelant demande l’accès ont une incidence sur la détermination du droit en question;
  4. 4) les renseignements personnels sont nécessaires pour se préparer à l’instance ou pour assurer l’impartialité de l’audience10.

[49] L’appelante affirme qu’elle a le droit de se défendre contre de fausses accusations et qu’elle a besoin de ces renseignements pour se défendre en cour, mais elle n’a fourni aucune preuve montrant que les quatre exigences précédentes ont été respectées. Je considère donc que le facteur énoncé à l’alinéa 14 (2) d) ne s’applique pas au présent appel.

Alinéa 14 (2) e) : intérêts pécuniaires ou autres

[50] Le facteur énoncé à l’alinéa 14 (2) e) est défavorable à la divulgation. Cependant, l’appelante semble être d’avis qu’il devrait motiver la divulgation des renseignements.

[51] Pour que cette disposition s’applique, la preuve doit démontrer que les préjudices envisagés sont réels ou prévisibles, et s’ils risquent de léser injustement le particulier concerné.

[52] Je ne considère pas avoir reçu assez d’indications pour établir que le facteur énoncé à l’alinéa 14 (2) e) est pertinent dans le présent appel.

Alinéa 14 (2) i) : atteinte injuste à la réputation

[53] Pour déterminer si cette disposition s’applique, il ne s’agit pas de savoir si la divulgation porte ou risque de porter atteinte à la réputation de la personne concernée, mais bien si elle porte injustement atteinte à sa réputation11.

[54] L’appelante fait valoir que la personne nommée dans sa demande a déjà porté atteinte à sa réputation à son lieu de travail; or, le facteur énoncé à l’alinéa 14 (2) i) est en fait défavorable à la divulgation. Je ne dispose d’aucune preuve me permettant de conclure qu’il s’agit d’un facteur pertinent dans le présent appel.

Première partie : conclusion

[55] Je considère que la présomption énoncée à l’alinéa 14 (3) c) fait en sorte que la divulgation de documents pertinents éventuels serait présumée constituer une atteinte injustifiée à la vie privée de la personne nommée dans la demande. Je constate également qu’aucun des facteurs énoncés à l’alinéa 14 (2) qui favoriseraient la divulgation de renseignements pertinents (advenant qu’ils existent) ne s’applique. Par conséquent, je considère que le premier critère d’application du paragraphe 14 (5) est respecté.

Deuxième partie : divulgation de l’existence (ou de l’inexistence) du document

[56] Selon la deuxième partie du critère d’application du paragraphe 14 (5), l’institution doit démontrer que la divulgation du fait qu’un document existe (ou n’existe pas) révélerait en soi des renseignements à l’appelant, et que la nature de ces renseignements est telle que leur divulgation représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée.

[57] La ville fait valoir que la divulgation de l’existence ou de l’inexistence des documents (s’ils existent) est présumée constituer une atteinte injustifiée à la vie privée d’un particulier pouvant être identifié en vertu de l’alinéa 14 (3) c). Je considère que cette présomption l’emporte sur les facteurs soulevés par l’appelante qui sont favorables à la divulgation des renseignements, surtout parce que je juge que la pertinence de ces facteurs n’a pas été établie en l’espèce.

[58] Compte tenu de tous les renseignements dont je dispose, je suis convaincue que la divulgation du fait que des renseignements visés par la demande de l’appelante existent ou n’existent pas révélerait en soi des renseignements, c’est-à-dire la question de savoir si la personne nommée dans la demande a déjà fait une demande d’aide sociale ou y est admissible, et que la divulgation de ces renseignements serait présumée représenter une atteinte injustifiée à la vie privée en vertu de l’alinéa 14 (3) c). Par conséquent, je juge que la ville a respecté le second critère d’application du paragraphe 14 (5) de la Loi .

Conclusion

[59] Je considère que les deux critères d’application du paragraphe 14 (5) de la Loi  ont été respectés. Par conséquent, sous réserve de mon évaluation de la façon dont la ville a exercé son pouvoir discrétionnaire, je considère que la ville a invoqué de façon appropriée le paragraphe 14 (5) en réponse à la demande de l’appelante.

C. Si des documents existent, la ville a-t-elle exercé de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire de refuser de confirmer ou de nier leur existence en vertu du paragraphe 14 (5) ou de l’alinéa 38 b) de la Loi? Dans l’affirmative, le CIPVP devrait-il confirmer l’exercice de ce pouvoir?

[60] Les exceptions énoncées à l’alinéa 38 b) et au paragraphe 14 (5) sont discrétionnaires, c’est-à-dire que l’institution peut divulguer les renseignements même si elle a le loisir de refuser de le faire. L’institution doit exercer son pouvoir discrétionnaire. Dans le cadre d’un appel, la commissaire peut déterminer si l’institution l’a exercé ou non.

[61] Elle peut également déterminer que l’institution a erré dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, par exemple, si elle :

  • • a agi de mauvaise foi ou à des fins erronées;
  • • a pris en compte des facteurs qui ne sont pas pertinents;
  • • a négligé de prendre en compte des facteurs pertinents.

[62] Dans un cas comme dans l’autre, le CIPVP peut renvoyer l’affaire à l’institution pour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction des facteurs appropriés12. Cependant, le CIPVP ne peut pas se substituer à l’institution et exercer le pouvoir discrétionnaire à sa place13.

Observations

[63] La ville fait valoir qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et de bonne foi en l’espèce. Elle affirme avoir tenu compte d’un certain nombre de facteurs, dont les suivants :

  • • " L’information en question, s’il existe, est très délicate étant donné qu’elle se rapporte à l’application et du besoin de la personne nommée pour de l’aide sociale. Cette information est protégée par l’article 14(3) c) et la divulgation de cette information est présumée crée une atteinte injustifiée a la vie privée de [la personne nommée].
  • • L’information en question, s’il existe, révèle les besoins de [la personne nommée].
  • • La nature des renseignements de des documents en question, s’il existe, est telle qu’ils sont sensible et personnels. Étant donné la relation familiale difficile, la Ville juge important de sauf-garder la vie privée [de la personne nommée] dans les circonstances, et que cette protection l’emporte sur le droit que pourrait avoir l’appelante de recevoir les quelques renseignements qui lui concerne dans le dossier, s’il existe."

[64] L’appelante fait valoir que la ville n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée. Elle affirme que les renseignements contenus dans des documents pertinents éventuels la concernent, et que la ville aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de les divulguer. Elle soutient :

" L’institution a erré dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à des fins inappropriées. Elle n’a pas pris en considération les facteurs pertinents:

• l’information doit être accessible au public;

• les particuliers doivent avoir le droit d’accéder aux renseignements personnels les concernant. "

Analyse et constatations

[65] D’après les renseignements dont je dispose, je suis convaincue qu’une confirmation qu’il existe des documents pertinents divulguerait à l’appelante des renseignements sur une personne pouvant être identifiée, sur l’admissibilité de cette personne à des prestations d’aide sociale ou de service social ou sur le niveau de ces prestations.

[66] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je considère que le fait de révéler l’existence ou l’inexistence de documents visés par la demande représenterait une atteinte injustifiée à la vie privée de la personne identifiée dans la demande. Je juge donc que la ville a le droit d’invoquer le paragraphe 14 (5) et l’alinéa 38 b) pour refuser de confirmer ou de nier l’existence de documents qui seraient visés par la demande de l’appelante.

[67] Compte tenu des observations de la ville concernant la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’application de ces dispositions, je considère que la ville a tenu compte uniquement de facteurs pertinents, et qu’elle a rendu sa décision de bonne foi. Pour ces motifs, je suis convaincue que la ville n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée en vertu du paragraphe 14 (5) et de l’alinéa 38 b) et je confirme cet exercice.

ORDONNANCE

Je confirme la décision de la ville et rejette l’appel.

L’original signé par:

Catherine Corban

Arbitre

Le 28 novembre 2013


1 Ordonnance 11.

2 Ordonnances P-257, P-427, P-1412, P-1621, R-980015, MO-1550-F et PO-2225.

3 Ordonnances P-1409, R-980015, PO-2225 et MO-2344.

4 Ordonnance PO-1880, confirmée en révision judiciaire dans Ontario (Attorney General) v. Pascoe, [2002] O.J. No. 4300 (C.A).

5 Ordonnance P-339.

6 Ordonnances PO-1809 et PO-1810, confirmées en révision judiciaire dans Ontario (Minister of Health and Long-Term Care) v. Ontario (Assistant Information and Privacy Commissioner), [2004] O.J. No. 4813 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée (19 mai 2005), C.S.C. 30802.

7 Ordonnance MO-2954.

8 Ordonnance P-239.

9 Ordonnance P-99.

10 Ordonnance PO-1764; voir également l’ordonnance P-312, confirmée en révision judiciaire dans Ontario (Minister of Government Services) v. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (11 février 1994), Toronto Doc. 839329 (Ont. Div. Ct.).

11 Ordonnance P-256.

12 Ordonnance MO-1573.

13 Paragraphe 43 (2).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.